février

cette nuit j’adopte un poisson d’argent perdu au pied d’une plinthe

étrangement,
il n’y a plus que des rêves dans mon journal
ces derniers temps, j’apparais beaucoup dans ceux des autres
et sitôt ils me les racontent, sitôt je m’en souviens
je ne me l’explique pas

quoi

il n’y a rien d’étrange à lécher un sphynx salé
comme la sueur des algues

Une amie, N., rêve que nos animaux de compagnie sont des fruits. Elle a une mandarine, qui roule au bout d’une laisse en laisse ; et moi, une fraise. Comme je n’aime guère les fraises, c’est même le seul fruit dont je ne raffole pas, il faut trouver une explication. La voici : c’est justement parce que je n’aurai jamais envie de la manger que je l’ai adoptée.
Quand j’imagine ma fraise avec une muselière — elle est en rage parce que je ne désire pas suffisamment la dévorer —, il est déjà 16h et le rêve se poursuit encore.

Une poussette sur le passage clouté devant le bar dont on ne dit jamais plus le nom parce que l’on sait. J’ai dit au revoir à la patronne. J’ai travaillé jusqu’à minuit avec l’ordi. Je monte l’escalier me conduisant chez mon père. Trois étages. Avec moi, un chat sphynx que je lèche et qui est salé comme la sueur des algues. Mon père a laissé la porte grande ouverte. Il me saute dessus avec ses angoisses et fait des listes de choses à faire à voix haute. Sa sœur vraiment elle ne tourne pas rond et il faut mettre le loquet de la porte – « loquet loquet loquet » il répète. Je lui demande si l’on peut parler de tout ça demain parce que j’ai bossé jusqu’à minuit et je suis crevée. « C’est vrai qu’on ne s’aide pas trop », il me dit.
Je mange difficilement des amandes dans la cuisine et range les courses qu’il avait faites mais n’avait pas mangées. Ce n’est pas la première fois que je comprends mieux mes rêves que la réalité.

Sur les quais à Paris. Je pleure en découvrant ma location qui est en réalité une caisse sur un trottoir (pour se donner une idée, c’est entre la niche et cette caisse verte des bouquinistes mais en plus petit). J’ai dépensé 300€ pour rien car je refuse de dormir là-dedans, sans fenêtre sans douche, sans air. Elle ne me facture finalement que 200€ tellement je pleure. J’en déduis que mes larmes de petite privilégiée néanmoins très démunie coûtent une centaine d’euros.
Dans la caisse-appartement, le lit format poche s’ouvre en son milieu comme un livre. Ça aurait pu me plaire mais c’était sans compter l’absence totale de hauteur sous plafond. Une fois le lit refermé, le dormeur est une fleur tout aplatie, une feuille morte. En réalité, le clic-clac est un herbier. Je répète : le clic-clac est un herbier.

Tempête. L’eau s’infiltre par la baie vitrée. L’auvent avec la toile rétractable qui ne se rétracte plus se décroche et s’effondre sur la terrasse. Je suis bien plus triste de la destruction de mes pantoufles-poissons bleues que de la terrasse, ainsi que des passants qui se trouvaient au-dessous.
Heureusement qu’il me reste encore les pantoufles-poissons orange, réservées à l’intérieur, bien à l’abri sous le repose-pieds où personne ne repose jamais ses pieds. Sur le cercle chromatique, le bleu et l’orange sont complémentaires car diamétralement opposées. Depuis l’accident de l’auvent il y a moins de contraste.

Ma mère porte une casquette et des vêtements aux couleurs vives. En fait elle est un peu habillée comme Marty Mc Fly dans Retour vers le futur. Elle me demande d’acheter des ravioles pour midi et puis dévale les escaliers sur son skate — elle va bien finir par s’ouvrir la tête, je pense. À voix haute j’ai pensé. Elle remonte en rogne et me dit droit dans les yeux : « je fais bien ce que je veux. » Elle n’a pas à se justifier de sortir en skate si ça lui chante !

Ensuite, je vais travailler dans ma chambre et j’ouvre le secrétaire qui se trouve habituellement chez ma grand-mère.

Le chat est caché derrière les rideaux comme tous les chats de mon enfance.

Plus tard, au cinéma, elle porte une robe noire du genre gothique avec des volants et des froufrous. Là elle ressemble beaucoup à Loïe Fuller interprétée par Soko dans le film La Danseuse.
Je suis déjà assise, elle est en retard. Pour accéder à sa place, à gauche de la mienne, elle enjambe les spectateurs et marche sur les fauteuils. Et quand un pan de dentelle effleure mon visage, c’est comme traverser encore le rideau de la supérette des vacances, ses franges plastiques et torsadées, une pluie multicolore.

Elle porte un manteau à carreaux orange et verts
un losange doré en guise de broche
ses doigts font des zigzags
ses cheveux font nimp’

Dans un rectangle en plastique :
un œuf dur écalé
douze petits carrés d’emmental
(pas le temps de compter les trous)
trois tranches de pain fines et noires comme des semelles
et puis deux gros carrés de chocolat noisettes entières

Dans une boîte à part,
de gros cubes d’ananas tous identiques
elle en a beaucoup je peux piocher si je veux

Dehors la ronde des nuages
aucune forme ne se ressemble

Je prends les mesures de la terre
avec le compas dans mon œil
et un cube jaune pâle avec les doigts

Son sourire transforme tout son visage en mandala

Dans les escalators, sous la clameur des néons, je pense à l’allégorie de la caverne et ne pas oublier la moutarde cette fois.

Arrivée au sous-sol, devant la balance intelligente, un vieil homme a du mal et un peu de sang coagulé dans les narines. Je fais un nœud à son sac de pommes pleines de tonches. Il dit Oh c’est sympa, et je comprends que c’est bien plus que ça en voyant toute la peau de son visage se soulever à la seule force du petit zygomatique.
Il va saigner du nez encore.

Je sens un paquet de mouchoirs dans ma poche. Ça me rassure.

Un soir à la télévision, un humoriste : « c’était le cirque ou la prison »

Dans mon agenda, à la date du 27 février,
créer une tâche

marcher dans la mer

je coche journée entière

« Le sable il m’a ralenti » dit le garçon en trottinette à son frère jumeau en fauteuil

j’ai toujours du retard dans mes souvenirs

le sablier me fait baliser sévère

je fais des étirements – surtout la nuque – et vérifie que la paréidolie des nuages est bien la même que dans mon poème



un mur a fait les questions et les réponses — à l’abri de la lumière, une endive m’a dit devine — « bien mieux pour mon bien » affirme le slogan sur cette vitrine qui pratique donc elle aussi la méthode Coué et je crois l’antanaclase mais c’est loin les figures de style — A. m’a demandé si elle pouvait prendre mon ombre et j’ai répondu oui comme on se prête bien des livres qu’on finit toujours par se rendre un jour